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Pourquoi les banques privées se font snober par les milléniaux

Pourquoi les banques privées se font snober par les milléniaux ?

Apparues plutôt récemment sur les radars, on les qualifie le plus souvent de néobanques mais leur appellation anglo-saxonne, « challenger banks », est plus conforme à leur positionnement. Comme dans le monde du sport, elles ont décidé de se frotter à ces championnes en titre que sont les grandes banques universelles. Comme sur les rings de boxe, elles n’hésitent donc pas à défier les poids lourds du secteur et savent où taper pour faire mal. Leur parc immobilier ne se mesure pas en kilomètres carrés de succursale, puisqu’il se limite aux quelques centimètres carrés d’un écran de smartphone. Cependant, année après année, elles parviennent à grappiller de belles parts de marché.

La première d’entre elles, N26, a vu le jour en Allemagne en 2013. Depuis, plusieurs dizaines de ses consœurs lui ont emboité le pas pour venir rivaliser avec les grands noms de la place. En s’appuyant sur une stratégie axée sur les milléniaux, elles ont vite trouvé leur cœur de cible. Elles ont d’ailleurs su séduire aussi bien les usagers, qui se dénombrent désormais en millions, que les investisseurs. Une douzaine d’entre elles ont déjà levé chacune plus de 100 millions de dollars pour assurer leur croissance et, parmi elles, six ont déjà obtenu le statut envié de licornes. Il s’agit de Nubank, Chime, Revolut, Monzo, Uala et N26. Ces derniers mois, Chime, aux Etats-Unis, et Revolut, en Europe, ont chacune réussi un tour de table chiffré à 500 millions de dollars. Leur valorisation respective dépasse maintenant les 5 milliards de dollars.

Elles tiennent aux uns et aux autres un discours simple, fondé sur des promesses exclusives qui balancent entre le low cost et le feel good, deux arguments massue sur le segment des milléniaux. La startup américaine Aspiration, spécialisée en finance durable, a pris par exemple la signature suivante : « do well, do good ». Le ton est donné. Dans la mesure où elles ne sont prisonnières d’aucun système ou process, elles ont su exploiter toutes les ressources du digital pour proposer à leurs aficionados des services très performants à des prix ultra compétitifs. Les ouvertures de compte sont réalisées quasi-instantanément et les conseillers se rendent disponibles online 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Comptes multi-devises, paiements internationaux, cartes de crédit gratuites, transferts immédiats pour permettre la gestion et le partage des dépenses entre amis. Elles ont entièrement revisité les classiques du genre, les adaptant à des interfaces étonnamment fluides et intuitives. Elles ont su enfin jouer à fond la carte du socialement responsable. Avec l’application “Impact Measurement”, Aspiration permet par exemple à ses abonnés de suivre mois après mois l’impact social de leurs dépenses personnelles.

Ces nouvelles façons de consommer les services bancaires ont ainsi permis aux challenger banks d’attirer cette génération de l’écran qui a succédé aux générations de l’écrit. Les ruptures qu’elles ont créées ont d’autant mieux souligné les faiblesses récurrentes de leurs aînées qui n’ont pas réussi à se caler sur les paradigmes du digital : fluidité, instantanéité et dimension presque divertissante de l’expérience client.

En revanche, pour s’en tenir au marché suisse, les banques privées auxquelles on promettait le pire, n’ont que très peu souffert de l’émergence de ces challenger banks et de leurs applicatifs. Sur le segment de la clientèle affluente, la proposition de valeur du wealth management n’est pas encore réplicable instantanément sur le digital. Elle s’étend en effet bien au-delà des usages courants propres aux banques universelles. La nature « relationnelle », multi-canal, et pluridisciplinaire de la gestion de patrimoine ne se prête pas facilement à une scénarisation online. Limité à quelques fonctions régaliennes, le parcours digital des challenger banks est encore loin de pouvoir remplir les services sophistiqués, ultra-personnalisés d’une banque privée. D’autant que le gestionnaire demeure la pièce centrale du dispositif.

Il n’en demeure pas moins que la percée des challenger banks oblige les banques privées à redéfinir sous peu l’environnement digital qu’elles réservent ou doivent réserver à leurs clients. Il leur faut aujourd’hui réorienter leurs efforts marketing vers une clientèle plus jeune, où figurent en première ligne les enfants de leurs clients, destinés, à terme, à hériter de leur fortune. Dès lors, il s’agit d’ajuster la proposition de valeur et de la rendre cohérente autant avec les aspirations de cette relève qu’avec ses nouveaux modes de consommation.

Dans cette logique, il est nécessaire de refondre l’offre Produits & Services dans un environnement digital plus fonctionnel, plus interactif et certainement plus engageant. Les fintechs ont multiplié les applications à l’intention des acteurs du wealth management, mais leur adoption est très lente et les rares applicatifs installés le sont car leur intégration est très facile. A ce jour, aucune banque ne s’est essayée à partir d’une page blanche pour créer son propre univers digital.

A leur décharge, elles ne disposent pas nécessairement des compétences, du savoir-faire voire même de la culture qui sont requis pour entreprendre ces innovations radicales. Le sentiment d’urgence se ressent moins chez les banquiers privés.

Mais que peuvent faire les banques privées pour ne pas se faire snober par les milléniaux ?

Pour se réinventer aujourd’hui, il faut adopter une posture « out of the box », imaginer et tester de nouveaux business models en dehors de sa zone de confort, en partant d’une feuille blanche. C’est le principe qui anime les initiatives « new venture building » qui ont rencontré de francs succès dans diverses industries.

Le lancement d’une initiative venture building est en effet un moyen efficace de se projeter dans le futur, de dégager de nouvelles perspectives, ainsi que d’expérimenter de nouvelles pratiques et de nouveaux modèles d’affaires pour le wealth management. C’est une option autrement plus gratifiante que les avancées laborieuses à petits coups d’innovation incrémentale. Le principe du venture building est de bâtir une startup, ou « speedboat », en recommençant à zéro avec une équipe dédiée, qui aura le droit et la liberté de modeler une solution sans les éventuelles contraintes liées à la configuration actuelle.

Après avoir re-imaginé le parcours client, la nouvelle solution pourra être construite en assemblant notamment les briques technologiques proposées par les nombreuses fintechs présentes sur le marché. Elles ont cet avantage d’être facilement intégrables les unes aux autres par le biais d’APIs.

En se concentrant dans un premier temps sur le développement d’un prototype ou MVP (Minimum Viable Product), cette démarche permet de tester et lancer des solutions innovantes sur le marché, beaucoup plus rapidement et avec des risques moindres de déstabilisation du modèle en cours. L’entreprise se voit ainsi en mesure de déployer une nouvelle offre à travers la création d’une startup ayant sa propre gouvernance et sa propre identité. Cela permet également à la banque de s’assurer un nouveau positionnement sans risque d’image liée à la solution, et ce à travers la création d’une nouvelle marque.

Pour assurer le bon déroulement de cette opération, deux choix s’offrent à la maison-mère. Former une équipe dédiée à l’interne qui assurera de bout en bout le développement de la solution. Ou faire appel à des spécialistes du Venture Building, qui assembleront des équipes dédiées et mettront à disposition leur expertise dans plusieurs domaines pour lancer et mener à bien la totalité du projet, ou du moins ses étapes critiques.

En employant cette approche et en ciblant ses priorités, les entreprises sont ainsi capables en quelques mois de maîtriser un cycle d’innovation qui a le plus souvent tendance à leur échapper.

Le digital est bien évidemment le matériau idéal pour lancer des initiatives de venture building. Pour les banques privées en Suisse, c’est aujourd’hui l’un des meilleurs leviers dont elles disposent pour se repositionner sur leur secteur, en tant que challenger banks !